Insécurités dans les banlieues : cas des aires inondées à Dakar, Sénégal
Le retour des
populations de la banlieue de Dakar, primitivement affectées par les
inondations en zones insalubres d’habitat, entraîne des situations
d’insécurités physique ou environnementale, sanitaire, hygiénique, économique.
Ce phénomène exacerbe d’autres formes d’insécurités générées par les
précédentes et qui s’expriment de manière violente - avec des crimes, viols, agressions.
Le développement de comportements
violents enregistré dans de nombreuses banlieues du monde et notamment dans
celle de la banlieue de Dakar se cristallise pour des raisons d’inégalités
environnementales (site de l’habitat), sociales (catégories de migrants),
économiques (revenus et ressources insuffisants) face à la catastrophe amenée
par les eaux.
Les causes premières
sont aussi retrouvées dans l’installation des populations qui ont opté pour des
sites habitables - « considérés comme sécures » - à des moments
climatiques plutôt favorables (connus comme négativement secs) avec cette
longue période de sécheresse. Lorsque le climat devient positivement pluvieux,
les catastrophes qui en résultent sont les inondations récurrentes. Elles
accentuent les insécurités par les inégalités imbriquées dans la durée. En
effet, ces inégalités foncières ont aussi résulté des politiques publiques mal
articulées et des dynamiques démographiques désorganisées qui ont occupé des
espaces dits non aedificandi (par
exemple, à Guédiawaye, le nombre de quartiers est inestimable). De fait,
face à la catastrophe les variables se combinent en exacerbant les inégalités
pour la survie et par des situations inédites. Ainsi, s’organise le
développement de stratégies de survie pour lesquelles tout y passe. En luttant
contre les eaux d’inondation, on essaie de surmonter la pauvreté. Par les
formes d’agression du temps qui résultent du changement climatique, on passe à
d’autres schémas de survie qui n’hésitent pas à utiliser la violence
physique (exactions sur les voies
publiques principales et à l’aide de pneus brûlés).
De 2000 à 2014 les
inondations ont entraîné dans les banlieues des villes sénégalaises des
centaines de morts et des centaines de milliers de déplacés (900 000
victimes en 2009, (PDNA). Cette catégorie qui représente les victimes directes
fait environ (1/12e de la population nationale). L’agressivité des victimes
n’est pas facilement démontrée, mais le nombre d’agressions physiques dans ces
aires de catastrophe, l’évolution de la violence et de la criminalité n’est
plus à démontrer dans les aires d’inondation où les maisons abandonnées,
l’absence d’eau et d’électricité, le caractère insalubre et, l’inaccessibilité
des sites, même en plein jour permettent, à une catégorie marginale de
s’enfoncer dans la réclusion en offrant une violence qui préoccupe.
Les eaux stagnantes, en
affectant l’habitat, ont laissé des stigmates dans le paysage qui ressemblent
aux « ghost cities » dans
certains quartiers de la banlieue. Les pertes de domicile qui en résultent, en
mettant dehors des jeunes, offrent à la rue une catégorie qui était déjà
défavorisée par le manque de formation, d’emploi ou de ressources.
Les différents épisodes climatiques changeants ont rendu, au
cumul, des cas de relations de cohabitation difficile dans les espaces de
quartiers de banlieue notamment ceux affectés par les inondations. La violence de la nature conjuguée à celle de la pauvreté
entretient celle d’une jeunesse exposée au manque d’emploi et souvent exposée à
l’offre pour la consommation de la drogue. Dans les quartiers innombrables et
surpeuplés qui sont les aires de ces insécurités, on note des densités à
l’hectare qui défient des records que l’on enregistre dans certaines villes
asiatiques. Ainsi, la délinquance et l’insécurité retrouvent leur terreau[1].
Après la réalisation des
canaux de drainage des eaux pluviales, l’Etat du Sénégal aura réussi une
prouesse technologique avec une première phase-test hypothétique et redoutée
par les populations qui se signalent entre l’espoir et le doute. Les autorités
gouvernementales et locales font face à ce dilemme. L’objectif premier est de
mettre à sec les communes d’arrondissement qui étaient régulièrement affectées
par les inondations. Il restera une question de taille qui concernera
l’assainissement global. L’urgence (phase : 2013-2017) et la perspective
de 2022 laisseront l’assainissement global qui appartient aux Objectifs du millénaire
pour le développement (OMD) fixés pour 2015. Cet état de fait renforce
l’hypothèque d’une insécurité liée au défaut d’assainissement global.
Les premières formes de manifestation liées aux inondations
saisonnières sont connues et documentées à la fin des années 1980. Elles sont
le fait de mouvements associatifs dont les plus célèbres sont celles de « Niax Diérinu » (avec Oumar
Khassimou Dia qui a son parti politique et Cheikh Sarr, devenu maire de
Guédiawaye entre 2009 & 2014), des jeunes issus des mouvements étudiants,
associatifs, notamment actifs dans les tournois en saison des pluies et connus
comme les Associations sportives et culturelles du mouvement dit
(navétanes : saison des pluies). De nombreuses mutations ont affecté ces
mouvements. Certains sont devenus des partis politiques et les autres branches
ont essaimé dans le champ des manifestations civiles (voir le mouvement citoyen
dit « Y’en Marre ») en réclamant plus d’équité face à la catastrophe
notamment avec l’usage de l’expression : « émeutes citoyennes ».
La violence qui enrobe les formes de lutte nouvelle est souvent déchargée des
aspects péjoratifs. Cependant, une certaine violence reste en toile de fond. A
relire les slogans du mouvement « Y’en
a marre », on retrouve une certaine violence dans la rhétorique et la
charge verbale qui ne sont pas innocentes[2]. A
la veille des manifestations du 22 & 23 juin 2011, toute la banlieue de
Dakar a été embrasée par des pneus allumés sur les routes (croisement de Pikine
surtout). Une alerte sérieuse a été lancée par les mouvements associatifs, les
associations des sinistrés ou des victimes des inondations en réclamant la
canalisation en vue de faire face aux dramatiques et récurrentes inondations
qui semblent être des catastrophes sélectives qui ont dichotomisé le champ spatial de la région de
la presqu’île du Cap vert entre Dakar
(métropole, le centre des affaires) et ses satellites ou quartiers occupés par
une classe moyenne - la banlieue qui continue d’étendre ses tentacules hors des
limites administratives officielles que l’on n’a pas fini de baliser par des
stratégies de gouvernance locale qui se cherchent dans des réformes mal
agencées avec un découpage qui a créé des antagonismes du fait d’ignorance ou
de mauvaises intégrations de données socio-spatiales. Ces formes
d’administration ont toujours gouverné des appartenances sociologiques et
délimité des assiettes foncières qui sont intégrées dans des flous juridiques
qui exacerbent les antagonismes autour de villages anciens et des quartiers
récents. Les rapports peuvent être violents en opposant les
« immigrants », l’administration locale, les communautés autochtones
et les citadins de la nouvelle ère. Cela débouche sur des créations de
quartiers récents. On peut lire quelques faits à travers une certaine toponymie
des quartiers qui ressemblent à des propriétés privées. Du coup, le défaut de
sécurité se note dans la recherche de solutions aux nombreux
dysfonctionnements. On enregistre à ce sujet des stratégies propres aux groupes
sociaux qui, de manière réactive, vont mettre en place des milices de quartiers[3] ou
d’autres tactiques de survie face aux différentes insécurités qu’il reste à
approfondir.
Des segments sociaux vont s’approprier le champ des
revendications, des manifestations, de l’ordre face aux menaces et aux
différentes insécurités et aux inondations et cela en fonction du comportement
des autorités étatiques et des administrateurs locaux des territoires concernés
par les inondations. En rappel, l’interventionnisme étatique a été toujours actionné
sous la couverture du ministère de l’Intérieur qui est chargé de la sécurité
civile à travers la direction des opérations stratégiques d’abord, avec le Plan
d’organisation des secours (Orsec) et plus tard la Direction de la Protection
Civile. Les interlocuteurs en contact avec les populations sont les préfets et
les chefs de quartiers ou délégués de quartiers. Au plus profond de certaines
crises liées aux inondations et en fonction des menaces et risques des forces
de gendarmerie ont été pré-positionnées autour des zones inondées en vue de
faire face au vandalisme des maisons affectées par les inondations, au désordre
lié aux manifestations de rue (voir les émeutes de la faim, de l’électricité,
et celles de l’eau[4])
et aux diverses exactions que l’on peut considérer comme étant en relation avec
l’envahissement de nombreux quartiers de la banlieue par les eaux. La police
assiste les délégués de quartiers dans le recensement des victimes et participe
à la sécurisation de proximité face au trafic de drogue et aux nombreuses contraintes d’insécurités nées
des situations liées aux eaux excédentaires qui stagnent dans les différents
quartiers.
Le Service d’Hygiène en collaboration avec le ministère de
la santé a toujours été déployé en vue de faire face au risque d’épidémie et
participe au renforcement du dispositif sécuritaire en vue de prévenir
certaines maladies.
Les réponses politiques mal articulées et les autres
réactions apportées en fonction des luttes urbaines fortement politisées,
parfois en utilisant des formes de corruption inédite, vont miner les
stratégies et forcer les tensions en renforçant les antagonismes sociaux. Pour
survivre dans ces zones grandement minées par la pauvreté, il a fallu à
certaines communautés et individus de se battre. Lorsque les stratégies
politiques se sont tournées vers la gestion de l’espace, le découpage à
l’emporte-pièce remonte légèrement à quelques années avant l’Indépendance du
Sénégal (1960). En effet, la naissance de Dagoudane-Pikine
ressemble à une « greffe » spatiale qui a mal tourné dans un
processus d’urbanisation fortement évolutive au double plan démographique et
spatial. Pikine ressemble à un objet satellite de la capitale Dakar. Elle
évolue comme une excroissance hybride (ni ville – ni campagne et qu’on a essayé
de gérer en administrant des techniques de découpage spatial expérimentales. A
partir du milieu des années 1970, on note la naissance de son double Guédiawaye
avec qui elle va se séparer pour former deux villes distinctes. Ces deux
entités vont composer le champ pratique d’expérimentation des décentralisations
administratives qui se cherchent jusqu’à aujourd’hui avec la troisième voie
dite « Acte III de la
décentralisation ». La lecture des variables qui rendent complexes
cette stratégie d’administration peut intégrer facilement les questions
d’Insécurité, de police nationale et de proximité qui se met en place,
tellement l’interpellation est forte et complexe. La gestion des quartiers
affectés par les inondations, avec à la clef la politisation de la désignation
des relais administratifs, a rendu confus la solution qu’on a voulue locale et
qui a fini d’investir le champ complexe des grandes décisions politiques.
Toutes les réponses offertes face à la grande demande en la matière en vue de
l’implantation des commissariats et postes de police (Guédiawaye et Thiaroye)
sont loin de satisfaire le vœu populaire en matière de sécurité (casernes de
sapeurs – pompiers et tribunaux départementaux de Pikine et Guédiawaye).
Références
· République du Sénégal (Gouvernement de la) - Banque mondiale, 2010, Inondations urbaines à Dakar. Préparé avec l’appui de la Banque Mondiale,
du système des Nations Unies et de la Commission Européenne - (PDNA, juin
2010). Rapport final. Dakar, 191 p.
· Thiam Mame Demba, 2011, Le
syndrome des inondations au Sénégal, Dakar, Presses universitaires du Sahel, 224 p.
· Thiam Mame Demba, 2013, Les inondations au Sénégal (2000-2011) :
une gestion erratique. In Sénégal (2000-2012).
Les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gestion libérale,
Momar-Coumba Diop (dir.) - CRES-KARTHALA, 689-728.
[1] 900 000 personnes déplacées en 2009, 5000 maisons
abandonnées, (400 cas d’agression signalés), 11 morts dans le bassin de Nietty Mbar.
Lire : Actunet.sn:
jeudi 27 novembre 2014
Sénégal :
122 cas de viols dénombrés, dont 35 en banlieue de Dakar. http://alkuma.info/spip.php?article2989. Source: actunet.sn alkuma.info, jeudi 27 novembre
2014.
[2] - http://www.leyenamarriste.org/online/. Cf. les différents plans du mouvement
citoyen dit « Y en a marre »
qui est très actif dans les villes de Pikine
et Guédiawaye : « Daas Fanaanal»
‘’traduit littéralement « aiguiser son arme la veille ». « Sama Askan sama Bakaan », (‘’traduit
littéralement « ma lignée- ma communauté ou ma vie).
[3]- http://www.leyenamarriste.org/online/. 28 Août 2012 : Brigades Nouveaux Types de
Sénégalais (NTS) itinérants.
[4] Cf. Anniversaire de l’An 1 du 23 juin
2011 dénommé Les « EMEUTES CITOYENNES » in http://www.leyenamarriste.org/online/.
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