« Jusque-là, seules des solutions saisonnières ont été proposées face aux inondations »
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Mame Demba THIAM, département de géographie de l’UCAD : « Jusque-là, seules
des solutions saisonnières ont été proposées face aux inondations »
LAST UPDATED ON TUESDAY, 13 AUGUST 2013 14:57TUESDAY, 13 AUGUST 2013
14:22
Le maître de Conférences au département de
Géographie et chercheur à l’Ifan, Mame Demba Thiam, a travaillé sur les
inondations en prolongement d’une recherche qu’il faisait sur les écosystèmes
littoraux. Dans ce cadre, il a produit un livre intitulé : « Le
syndrome des inondations au Sénégal ». Il analyse les causes et jette un
œil critique sur toutes les politiques mises en œuvre pour lutter contre ce
phénomène.
Pouvez-vous revenir sur l’historique de
l’installation des populations dans les zones inondables ?
«Le processus d’installation des
populations dans ces zones est complexe et est lié à plusieurs aspects,
notamment à la sécheresse. Mais tout d’abord, je dois dire qu’il ne serait pas
juste d’établir une sorte de linéarité et de causalité, comme le font certaines
personnes. Car toutes les villes ont eu des prolongements de campagne, des
prolongements ruraux. Cela ne s’est pas fait de façon automatique, mais suivant
plusieurs types de processus accélérés, avec des possibilités reliées à l’offre
foncière qui a été plus ou moins banalisée. Encore une fois, c’est extrêmement
complexe».
Quelles sont donc les causes des
inondations ?
«D’abord, il ne faut pas établir un lien
de causalité direct. En ce qui concerne les origines des inondations en
banlieue dakaroise, plusieurs éléments peuvent être intégrés, notamment
l’installation des populations sur d’anciens lits asséchés à la faveur de la
sécheresse dans les années 1970. Cependant, si nous revisitons les
déguerpissements dans la région de Dakar Sub-Plateau, nous ne pouvons pas dire
que les gens sont allés s’établir automatiquement. Parfois, ils ont même été
installés dans ces sites. Et j’ai dit dans mon ouvrage que c’est par recopie et
par répétition qu’il existe des quartiers de Dakar qui sont toujours là ou qui
étaient là et que l’on a déplacés. C’est le cas de Fass Mbao et Wakhinane. Ce
sont des habitants de Fass et de Wakhinane qui sont allés créer leur Fass et
leur Wakhinane de l’autre côté. Il y a eu des processus qui sont très
compliqués. Maintenant, à la faveur de la sécheresse, il y a eu un mouvement
migratoire que l’on a tendance à qualifier, de manière un peu exagéré, d’exode
rural où les populations sont allées s’installer dans des sites de culture pour
y rester une partie de l’année. Et puisque l’offre était là (des terrains dont
le coût a tourné entre 125.000 et 300.000 FCfa), elle a poussé les populations
à s’installer et d’autres à découper des parcelles à l’emporte-pièce, et cela a
donné des statuts hybrides alambiqués : ni ville, ni campagne. Sur ce, le
terme banlieue a été mis».
Dans une de vos contributions parue
dans la presse, vous avez mis en cause les régimes du Ps et du Pds quant à leur
gestion des inondations. Selon vous, tous deux auraient donc échoué…
«Aucun des deux n’a réglé le problème des
inondations. Aussi bien les socialistes que les libéraux ; ils n’ont
proposé que des solutions saisonnières. Car, immédiatement après la saison des
pluies, plus rien n’est fait. Aucun des deux régimes n’a répondu, de façon
structurelle, à la question des inondations».
Serait-ce un manque de volonté
politique ?
«La vérité est que les autorités n’ont
même pas de politique en la matière. Parce que les solutions ne doivent pas
être réactionnaires, que ce soit pour les inondations que pour tout autre fléau.
Pendant longtemps, les gens ont essayé de lutter contre la sécheresse, il y a
eu même des comités inter-Etats de lutte contre cette calamité. C’est comme si
les pays pauvres n’étaient aptes qu’à réagir face à certaines catastrophes. Le
cas des inondations est un exemple patent de cet état de fait. Les gens ne font
que réagir !»
Quelles solutions durables
entrevoyez-vous pour faire face à ce fléau ?
«La Banque mondiale a déjà répondu à cette
question. Elle a préconisé une anticipation dans certains sites. Et on a parlé
de restructuration. Pour que cela ne se renouvelle plus, des populations qui
sont dans des niveaux extrêmement bas doivent être déplacées. Mais vu le nombre
de personnes susceptibles d’être affectées ou potentiellement victimes, il faut
beaucoup de moyens. Aujourd’hui, toutes les réponses à ce problème que la
Banque mondiale avait préconisées ont été battues en brèche par les populations
qui n’ont jamais été impliquées dans la recherche de solutions. Et il n’y a pas
quelqu’un qui connaît mieux les inondations que les populations victimes.
Malheureusement, elles n’ont jamais été associées».
Vous souhaitez une mutualisation des
forces des différentes structures de l’Etat. Il semble que c’est le cas, mais
on constate que les inondations perdurent. Ce problème a-t-il été pris par le
bon bout ?
«Il y a un aspect historique que l’on perd
de vue. Au Sénégal, c’est le ministère de l’Intérieur qui s’occupe
véritablement de la gestion des inondations. Dans certains pays, c’est le
ministère de l’Environnement, dans d’autres, c’est celui de l’Habitat, et ainsi
de suite. L’argent qui est mis dans le fonds des calamités, le plus souvent, ne
peut pas être décaissé s’il n’y a pas une loi de finance rectificative votée
par l’Assemblée nationale. Nous sommes un pays très théorique, qui a parfois
des textes très structurés, mais l’action sur le terrain laisse à désirer. Nous
n’avons même pas les moyens de financer ce que nous envisageons comme
politique».
Parmi les solutions, il y a eu
l’ambitieux Plan Jaxaay. Cependant, vous estimez qu’il n’est ni un programme
encore moins un plan. Expliquez-vous.
«Ça ne l’est pas, parce que Jaxaay a été
décidé sur un coup de tête, sans aucune préparation, et qui plus est, à la
veille d’un scrutin. C’est une initiative très politique. Il paraît qu’il y a
eu 500.000 personnes qui ont été affectées en 2005. Certains avancent des
chiffres beaucoup plus importants. Face à cette dimension, ne serait-ce que par
l’article 7 de la Constitution qui évoque l’obligation de la protection de la
vie humaine, l’Etat a quand même l’obligation de mettre sur la table, de façon
beaucoup plus sérieuse, cette question. Parce que les catastrophes qui poussent
les populations au déplacement ont la même valeur d’affection que les guerres
qui déplacent les populations civiles. Certains théoriciens rangent même ces
déplacés dus à une catastrophe dans la catégorie des réfugiés environnementaux.
Si l’on veut du sérieux, on ne se lève pas un jour pour dire qu’on donne une
parcelle de 75 m2 à une population dont la moyenne par famille est de 8
habitants. Ce n’est pas sérieux. Le Plan Jaxaay ou le Programme Jaxaay est en
train de mettre en place une sorte de ghettoïsation beaucoup plus dramatique
que ne l’ont été les quartiers inondés de la banlieue».
Selon vous, Jaxaay est mal élaboré.
«Ce n’est pas que Jaxaay a été mal
élaboré, il n’a pas été élaboré. Il suffit de prendre un plan de maison à
Jaxaay pour s’en rendre compte. Il n’a pas été bien réfléchi. Le site
appartenait à la Sn-Hlm que le président de la République d’alors, Abdoulaye
Wade, a dû arracher pour mettre ce projet de 3.000 logements, dont entre 1.800
et 1.900 seulement seraient achevés. Je pense quand même que cela n’est pas
sérieux».
Jaxaay risque-t-il d’être confronté
aux inondations ?
«Ce n’est pas seulement les risques
d’inondations. Je dis que nous sommes en train de former une autre forme de
bidonville. Souvenez-vous que lorsque le programme ou Plan Jaxaay a été lancé,
l’Agence nationale de lutte contre les inondations et les bidonvilles (Anlib) a
été mise en place. Ce faisant, on ne pouvait pas lutter contre quelque chose
qu’on était en train de recréer. On ne peut pas lutter contre les banlieues.
C’est tellement anachronique que cette agence n’a pas vécu quatre mois».
Pourquoi toutes les politiques de
lutte contre les inondations menées jusque-là ont presque toutes échoué ?
«A mon humble avis, je pense qu’il n’y a
même pas de politiques de lutte contre les inondations. Je vous ai déjà dit que
face aux catastrophes, nous avons une attitude réactionnaire. Culturellement,
nous ne sommes pas prévenants. Ce n’est pas le Sénégal simplement, mais
l’Afrique en général. Nous n’avons pas de politiques de prévention. Et du point
de vue des catastrophes naturelles, ce n’est pas uniquement les inondations.
Nous ne faisons que réagir, nous n’anticipons pas. Alors que la prévention
relève de l’anticipation. Malheureusement, nous n’avons pas de structures
anticipatoires. A l’échelle des Nations unies, nous avons ce qu’on appelle le
Système d’alerte précoce, mais cela n’existe pas chez nous. Pour prévoir, il
faut savoir comment la saison des pluies va se dérouler. Au Sénégal, cela
n’existe que chez les « saltigués ». Aujourd’hui, nous leur avons
donné tellement d’ampleur que les prévisions traditionnelles sont mieux
écoutées que celles des scientifiques. Les « xoys » sont tellement
écoutés qu’ils font maintenant des prévisions à la fois climatiques et
politiques. Pourtant, le scientifique peut intégrer le traditionnel pour faire
de la prévision, mais à l’heure actuelle, ce n’est pas le cas».
Le gouvernement a initié un plan
décennal de lutte contreles inondations. Cela peut-il être le début d’une
solution durable ?
«Effectivement, l’Agence de développement
municipal, à travers le Projet de gestion des eaux pluviales, a déroulé un
important agenda inscrit dans deux plans d’urgence et un autre plan décennal.
Il faut apprécier l’aspect technologique qui consiste en un système qui ne
prend en charge que les eaux pluviales. Il est planifié pour un système
tout-à-l’océan. De manière simpliste, quelle que soit la pente, la vision
primaire de la réponse est de sortir les eaux pluviales des zones qui ont été
régulièrement affectées par les inondations. Or, le Plan directeur de drainage
des eaux pluviales est déclamé au titre de l’assainissement général, alors
qu’il ne concerne que les eaux de pluie. L’objectif spécifique est
de développer une infrastructure prioritaire de drainage primaire des
eaux. Cependant, ces grandes théories n’intègrent pas le grand défi de
l’assainissement. En effet, le challenge s’inscrit dans deux réponses. Une qui
privilégie les eaux de pluie pour l’urgence et l’autre inscrite dans la
prospective 2025 et concerne les eaux usées, les eaux vannes et les boues de
vidange. La combinaison des deux réponses est la meilleure solution d’urgence.
Mais, elle n’est réalisable qu’avec des politiques bien élaborées, programmées
et accompagnées par des moyens qui ne sont pas disponibles et qui sont
recherchés actuellement par les autorités politiques du pays».
Quelles sont les solutions qui
permettraient d’éradiquer définitivement les inondations ?
«Je suis chercheur, je ne préconise pas de
solutions pour l’Etat, parce qu’il a ses propres experts et je n’en fais pas
partie. Ce que nous faisons n’intéresse pas l’Etat».
Propos recueillis par Elhadji Ibrahima
THIAM
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